La butte de Grandfresnoy, détachée par l’érosion du plateau calcaire du Clermontois, domine la plaine d’Estrées-Saint-Denis qui, vers le nord, fait la transition avec le plateau picard. S’élevant en partie haute du bourg et dominée par un impressionnant clocher bâti à son angle sud-ouest, l’église Saint-Sauveur a pour origine une donation effectuée par Louis le Débonnaire en 830 au profit de la lointaine abbaye bénédictine de Charroux (Vienne). Cette donation sera confirmée deux fois au 9ème siècle et, à nouveau, en 1077 par Philippe 1er. Comme l’abbaye mère – un des chefs d’œuvres absolu de l’architecture romane, scandaleusement détruit en presque totalité au début du 19ème siècle – l’église se placera ainsi sous l’invocation à Saint-Sauveur, par ailleurs peu répandue dans nos régions.
Elle avait le statut de prieuré-cure, c’est-à-dire que les moines – peu nombreux car l’établissement était assez modeste – assuraient également le service de la paroisse, qui avait son autel dédié à la Sainte-Trinité dans un bas-côté de l’église. Les bâtiments du prieuré s’élevaient à l’ouest de cette dernière, la masquant sur ce côté ce qui explique la présence du portail principal au sud, à la base du clocher. Le presbytère occupe leur emplacement et ne subsiste plus aujourd’hui qu’une cave gothique dont les quatre travées, inscrites dans un plan carré, retombent au centre sur une pile circulaire. Le prieuré sera supprimé en 1760.
Le plan de l’église est constitué d’une nef de quatre travées avec bas-côtés, d’un transept non saillant et d’un chœur pentagonal. Le haut clocher s’élève sur la première travée du bas-côté sud et une tourelle d’escalier flanque l’angle nord-ouest, sans doute en relation avec un bâtiment disparu du prieuré.
Par son style, l’église revendique le 16ème siècle et le début du siècle suivant pour les parties hautes du clocher. Sauf à la courte fenêtre qui s’ouvre à la base du clocher, les formes flamboyantes sont partout abandonnées et les réseaux adoptent la forme en plein cintre qui est la marque de la Renaissance. Seul le bas-côté nord, bâti en moellons et éclairé par deux petites fenêtres en arc brisé, se distingue du reste de la construction. Des pierres d’attente à l’angle nord-ouest du transept pourraient suggérer que la reconstruction de l’église aurait été interrompue à cet endroit, laissant ainsi subsister ce mur à moins, qu’au contraire, celui-ci n’ait été bâti ensuite et rapidement en attendant une reprise des travaux qui ne s’est jamais faite.
L’intérieur de l’édifice traduit davantage encore cet inachèvement puisque, contrairement aux autres parties, ni ce bas-côté nord, ni le vaisseau central ne sont voûtés, l’amorce des arcs et ogives ne laissant toutefois aucun doute sur l’intention première. La travée du clocher comporte une voûte au dessin plus complexe, avec douze nervures, qui tient compte de l’oculus destiné au passage de la cloche.
L’originalité de l’église, assez traditionnelle par ailleurs, réside dans le plan de ses piles. Abandonnant les tracés ondulés ou formés d’une mouluration prismatique et qu’aucun chapiteau ne couronne, qui sont les plus fréquents à cette époque, elles sont ici fortement articulées. Les éléments qui les constituent, au profil alternativement carré (qui correspond aux arcs doubleaux) et arrondi (en rapport avec les ogives) sont en effet séparés par des gorges très marquées. Cet effet est encore amplifié aux piles de la croisées, plus fortes. Le chapiteau prend la forme d’un bandeau circulaire continu très marqué (nef) ou interrompu au niveau de la retombée des ogives (croisée du transept). Pour originaux qu’ils soient, ces supports ne sont pas sans une certaine lourdeur et incitent en tous cas à placer la construction de l’église – sauf les parties basses du clocher – assez tardivement dans le 16ème siècle.
Le clocher est sans conteste la partie la plus remarquable de l’édifice. A la base de sa face sud s’ouvre un portail en plein cintre sobrement décoré. Au dessus, dans une surface aveugle de même importance que celle où s’inscrit le portail, trône en son centre, dans une niche surmontée d’un dais, une statue de Saint-Sauveur. Une moulure évoquant, par ses doubles accolades, une cloche, l’encadre. De part et d’autre, une niche avec dais abritait une statue aujourd’hui disparue. Complétée par d’autres éléments sculptés, cette partie forme avec le portail un ensemble d’un raffinement extrême digne des meilleures réalisations de la première Renaissance et qui en reprend tous les codes décoratifs. Une fenêtre au tracé flamboyant occupe le dernier niveau et montre une fois de plus que le mélange des styles était courant au 16ème siècle.
C’est sans doute le prieur Guy Loisel qui fit achever le clocher durant le premier quart du 17ème siècle. Au-dessus de l’étage du beffroi, ajouré sur chaque face de hautes baies géminées tréflées, une plate-forme avec balustrade accueille un dôme bien dégagé par sa base cylindrique et que coiffe un lanternon. Des pinacles alignés sur les angles de la plate-forme en allège la silhouette. Par ses caractéristiques, le clocher de Grandfresnoy doit être regardé comme une œuvre de très grande qualité et mériterait d’être mieux connu (2020).
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Bibliographie :
- Louis GRAVES, Précis statistique sur le canton d'Estrées-Saint-Denis, arrondissement de Clermont (Oise), Beauvais, Achille Desjardins, 1832.
- Emile COËT, Notice historique et statistique sur les communes de l’arrondissement de Compiègne, Compiègne, 1883.
- M. PAISANT, « Note sur Grandfresnoy, ses monuments, ses souvenirs et l’un de ses prieurs », Bulletin de la Société Historique de Compiègne, t. 2, 1875, p. 355-364.
- Chanoine Emile MOREL, "Epigraphie du Canton d'Estrées-Saint-Denis", Bulletin de la Société Historique de Compiègne, t. 16, 1914-1920, p. 65-70.
- Michel ROBLIN, "Le prieuré et le palais de Grandfresnoy (Oise)", Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1967 (1969), p. 58-72.