Avec ses trois tours qui lui composent une silhouette inoubliable, Notre-Dame de Morienval est, à juste titre, l’église romane la plus célèbre – et parmi les plus anciennes – d’Ile-de-France. L’abbaye avait été fondée au 7ème siècle dans un petit vallon affluent de l’Automne, sans doute comme monastère double, c’est à dire réunissant des moines et des moniales. Morienval deviendra cependant très vite une abbaye de femmes et comptera jusqu’à soixante moniales au début du 13ème siècle. Son extinction définitive sera prononcée en 1768 en faveur de l’abbaye de Royalieu. Transformée en église paroissiale au détriment de Saint-Denis, qui sera détruite, Notre-Dame survivra ainsi à la tourmente révolutionnaire. Elle sera restaurée de façon drastique entre 1878 et 1912 mais les dispositions anciennes, y compris certaines modifications que le 17ème siècle lui avait apportée (voûtement de la nef et de la croisée du transept, portail de la façade…), seront respectées ou restituées d’une manière satisfaisante.
Construite principalement entre le troisième quart du 11ème siècle et les années 1120, Notre-Dame de Morienval a l’immense mérite de réunir les trois étapes importantes de l’architecture religieuse de cette époque en Ile-de-France : la persistance de la tradition carolingienne, l’arrivée du roman et l’expérimentation de la voûte d’ogives.
La persistance des traditions carolingiennes
L’église rebâtie durant le troisième quart du 11ème siècle, qui constitue encore la base de l’édifice actuel, comprenait les deux premiers étages du clocher-porche (les étages correspondant au beffroi ne seront achevés que dans le premier quart du 12ème siècle); le large transept-bas (voûté partiellement au 17ème siècle); un choeur avec travée droite voûtée en berceau et abside en hémicycle (remplacé par le choeur actuel dans les années 1120) et, enfin, greffés sur chaque croisillon, un réduit voûté en berceau servant d’assise à chacune des deux tours de chevet et une petite chapelle en hémicycle.
Le plan des parties orientales adoptait une disposition en échelon fréquente dans l’architecture bénédictine. L’association clocher-porche avec tribune et chevet harmonique (deux tours encadrant le choeur), la présence d’un transept-bas (les croisillons sont moins élevés que le vaisseau central), la plastique murale nue et lisse (particulièrement frappante aux murs orientaux des croisillons), le décor sans relief et exclusivement géométrique des tailloirs et chapiteaux inscrivent bien cette première campagne de reconstruction de Notre-Dame dans le droit-fil des traditions carolingiennes.
L’affirmation du style roman
C’est dans le dernier quart du 11ème siècle que la nef unique carolingienne, conservée jusque là, fait place à la nef actuelle. Voûtée et partiellement réparée au 17ème siècle, elle comprend trois travées percées d’arcades en plein cintre à doubles rouleaux retombant sur des demi-colonnes engagées par l’intermédiaire de chapiteaux bien structurés dont beaucoup sacrifient encore, cependant, au répertoire géométrique. Les piles cruciformes à quatre demi-colonnes engagées, la division de la nef en travées bien marquées, la richesse plastique de plusieurs chapiteaux sont ici la marque d’un style roman qui s’affirme.
C’est à la même époque que sont terminés les étages supérieurs des deux tours de chevet, eux aussi pleinement romans et sans doute têtes de file d’une série bien représentée dans la région (Retheuil, Oulchy-le-Château, dans l’Aisne; Rhuis, Pontpoint, Senlis – Saint-Aignan et Saint-Pierre – dans l’Oise).
L’intégration de la voûte d’ogives
C’est dans les années 1120 qu’est rebâti le choeur actuel dans le but de consolider l’assise des deux tours de chevet, menacées de glissement en raison de la forte pente du terrain. Conçue comme une sorte de gros contrefort circulaire évidé d’un étroit passage et oeuvre, sans doute, d’un architecte normand – sa conception est très proche des absides de la Trinité et de Saint-Nicolas de Caen, de celle de Cerisy-la-Forêt…-, l’abside de Morienval, qui n’est pas un déambulatoire comme cela a trop souvent été dit, est en réalité la réponse, particulièrement élégante et efficace, à un problème purement technique.
L’utilisation systématique de voûtes d’ogives – elles comptent parmi les plus anciennes d’Ile-de-France -, l’importance accordée aux fenêtres et la richesse plastique des nombreuses colonnes et colonnettes associées au voûtement et à l’encadrement des fenêtres portent déjà en germe une sensibilité qui sera la marque du gothique.
Les modifications ultérieures
A la fin du 12ème siècle, une chapelle est greffée dans le prolongement du croisillon nord. De construction très soignée avec son beau réseau d’arcatures aveugles en partie basse, elle est très proche du choeur de l’église voisine de Bonneuil-en-Valois.
De gros travaux seront entrepris sous l’abbatiat d’Anne II de Foucault, au 17ème siècle. Outre la voûte de la croisée du transept, portant la date de 1652, on doit rattacher à cette période le voûtement de la nef, la réfection du bas-côté sud et le prolongement des bas-côtés au droit de la façade du clocher-porche, le bas-côté nord étant doté d’un portail.
L’église a conservé une statuaire très riche et, dans le croisillon nord, l’imposant gisant en pierre, du 13ème siècle, de Florent d’Hangest. (D.Vermand, 1996, modifié 2015)
Chronologie :
Points d'intérêt :
Galerie :
Bibliographie :
- Louis GRAVES, Précis statistique sur le canton de Crépy-en-Valois, arrondissement de Senlis (Oise), Beauvais, Achille Desjardins, 1843.
- Abbé DARAS, Essai descriptif et historique de l’ancienne abbatiale de Morienval, Laon, 1849, in 8° de 54 p.
- Chanoine L. PIHAN, Esquisse descriptive des monuments historiques dans l’Oise, Beauvais, 1889, p. 517-529.
- Anthyme SAINT-PAUL, "Discussion archéologique sur les dates de l'église de Morienval (Lettre à M. le chanoine Müller)", Comité archéologique de Senlis, Comptes-rendus et Mémoires, 1892, p. 48-58.
- Anthyme SAINT-PAUL, "Poissy et Morienval", Mémoires de la Société Historique et Archéologique de l'Arrondissement de Pontoise et du Vexin, t. 16, 1894, p. 1-22.
- Eugène LEFEVRE-PONTALIS, L’Architecture religieuse dans l’ancien diocèse de Soissons au XIe et au XIIe siècle, tome I, Paris, 1897, p. 192-211 et planches hors texte.
- Chanoine Eugène MÜLLER, "Courses archéologiques autour de Compiègne", Bulletin de la Société Historique de Compiègne, t. 11, 1904, p. 261-264.
- Eugène LEFEVRE-PONTALIS, Congrès archéologique de France, 72ème session, Beauvais, 1905, Société française d’archéologie, Paris et Caen, 1906, p. 154-165.
- J.-A. BRUTAILS, « Les voûtes du chevet de Morienval », Congrès archéologique de France, 72ème session, Beauvais, 1905, Société française d’archéologie, Paris et Caen, 1906, p. 471-474.
- Henri STEIN, « Discussion sur les voûtes du chevet de Morienval », Bulletin monumental, vol. 71, 1907, p. 160-164 et réponses de Eugène LEFEVRE-PONTALIS, p. 164-170, J.-A. BRUTAILS, p. 335-343 et, à nouveau, Eugène LEFEVRE-PONTALIS, p. 343-350.
- John BILSON, « Les voûtes d’ogives de Morienval », Bulletin monumental, vol. 72, 1908, p. 128-136.
- Eugène LEFEVRE-PONTALIS, « Le plan primitif de l’église de Morienval », Bulletin monumental, vol. 72, 1908, p. 477-483.
- J.-A. BRUTAILS, « Les voûtes d’ogives de Morienval », Bulletin monumental, vol. 72, 1908, p. 484-493 et réponses de Eugène LEFEVRE-PONTALIS, p. 493-497 et John BILSON, p. 498-510.
- Charles-F. RICÔME, « Structure et fonction du chevet de Morienval », Bulletin monumental, vol. 98, 1938, p. 299-320.
- Dom J.-M. BERLAND, « Morienval », Nouvelles Editions Latines, Paris, s.d. (vers 1970), in 8° de 32 p.
- Anne PRACHE, Ile-de-France romane, Zodiaque, La nuit des temps 60, 1983, p. 87-92.
- Danielle JOHNSON, Architectural Sculpture in the Region of the Aisne/Oise Valleys during the Late 11th/Early 12th Century, Thèse de Doctorat de l’Université de Leiden (dactylographiée), 1984.
- Philippe BONNET-LABORDERIE, La vallée de l'Automne, Groupe d’Etude des Monuments et Oeuvres d’art de l'Oise et du Beauvaisis (GEMOB), Promenades VII - Tome 1, Bulletin n° 64, 1994, p. 30-33.
- Anne PRACHE et Danielle JOHNSON, « L’architecture et la sculpture de l’église de Morienval », L’art roman dans l’Oise et ses environs, Actes du colloque organisé à Beauvais par le GEMOB les 7 et 8 octobre 1995 (1997), p. 93-102.
- Dominique VERMAND, Eglises de l’Oise. Canton de Crépy-en-Valois. Les 35 Clochers de la Vallée de l’Automne, Comité Départemental du Tourisme de l’Oise et S.E.P. Valois-Développement, 1996, in-8° de 56 p., p. 30-32 (voir texte ci-dessus).
- Dominique LEBEE, Histoire de l'abbaye royale Notre-Dame de Morienval et de sa paroisse jusqu'à la Révolution, Groupe d’Etude des Monuments et Oeuvres d’art de l’Oise et du Beauvaisis (GEMOB), Bulletin n° 113-114, 2003-2004.
- Erika RINK et Nikolaus BRADE, Kirchenschicksale in Nordfrankreich/Destins d'églises dans le Nord de la France, Ernst A. Chemnitz/Cap Régions Editions, 2013, p. 104-107.
- Nicolas BILOT et Lionel MAZET, Abbaye de Morienval, A la découverte d'une fondation royale de la vallée de l'Automne, Aquilon, 2020, 40 p.
Sites internet :
Documents :
- Extrait de Alphonse de CAYEUX, Charles NODIER et Justin TAYLOR, Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, Picardie, vol. 3, Paris, 1845.
- Extrait de Eugène LEFEVRE-PONTALIS, L’Architecture religieuse dans l’ancien diocèse de Soissons au XIe et au XIIe siècle, tome I, Pl V, Paris, 1897 (dessins de Léon Guellier).
- Extrait de Eugène LEFEVRE-PONTALIS, L’Architecture religieuse dans l’ancien diocèse de Soissons au XIe et au XIIe siècle, tome I, Pl VII, Paris, 1897 (dessins de Léon Guellier).
- Extrait de Eugène LEFEVRE-PONTALIS, L’Architecture religieuse dans l’ancien diocèse de Soissons au XIe et au XIIe siècle, tome I, Pl VIII, Paris, 1897 (dessins de Léon Guellier).
- Extrait de Eugène LEFEVRE-PONTALIS, L’Architecture religieuse dans l’ancien diocèse de Soissons au XIe et au XIIe siècle, tome I, Pl. IX, Paris, 1897 (dessins de Léon Guellier).
- Etapes de construction de l’église aux 11ème et 12ème siècles et état actuel, extrait de Dom J.-M. BERLAND, « Morienval », Nouvelles Editions Latines, Paris, s.d. (vers 1970), in 8° de 32 p., p. 18-19.